Le 49ème congrès du Mouvement Jeune Notariat a eu lieu cette année à MONTRÉAL du 4 au 9 octobre sur le thème des conflits successoraux.
Le Québec n’est pas « terra incognita » pour le MJN : les liens du Mouvement avec le notariat Québécois sont déjà anciens. Deux congrès y ont déjà eu lieu en 1974 et 1995 et en 2010, Le MJN a organisé à Montréal les deuxièmes entretiens des Français de l’Étranger.
Certains de nos consœurs et confrères Québécois ont participé aux travaux du congrès, ont donné leur vision du sujet et ont partagé leur expérience.
Le thème des conflits successoraux est universel et les notaires qui y sont confrontés quotidiennement en connaissent la portée et les conséquences fortes d’un point de vue humain, les tensions pouvant prendre des proportions considérables et impacter durablement les relations familiales. Mais au-delà de cet aspect humain, les conflits successoraux ont également des conséquences économiques négatives si l’on tient compte des actifs gelés ou dépréciés, des indivisions subies, des biens immobiliers inoccupés ou dégradés, d’entreprises fragilisées ou mises en péril et des coûts d’expertise ou de procédure pouvant être élevés.
Pour le notariat, les répercussions sont également importantes : les successions conflictuelles sont chronophages et sources de tensions.
Il existe une attente sociale forte à l’égard du notaire et de son rôle double de prévention et de résolution des conflits.
Les causes psychologiques du conflit :
Il nous est apparu intéressant d’aborder dans nos propos introductifs la dimension psychologique des conflits successoraux.
Une succession confronte des personnalités diverses autour de cet évènement qu’est le décès. Celui- ci s’apparente toujours à un bouleversement, souvent source de conflits dans les familles et de retentissantes crises personnelles.
En effet, la mort peut réveiller en chacun des héritiers des blessures, des rancœurs, des jouissances, des conflits de tous ordres.
Recevoir un héritage impose, volontairement ou non, de réaliser un bilan. Quelle que soit le type de succession, la question consciente ou inconsciente des héritiers est celle de leur place et leur valeur pour le défunt.
Outre les biens matériels, quelles valeurs ou idéaux sont transmis ? Il s’agit de l’héritage psychique. Cette transmission symbolique est loin d’être anecdotique car c’est elle qui a façonné l’individu et qui va donc être en partie responsable de la manière dont va être reçu l’héritage, cette fois ci matériel.
Ce qui constitue la complexité de cette transmission immatérielle tient à son inscription dans le temps: elle ne vient pas uniquement des parents mais aussi des nombreuses générations les ayant précédés et s’insère dans l’histoire familiale.
Madame Danielle LOUZON, psychologue et rapporteur du congrès, nous a donné des clés pour tenter de comprendre les subtils ressorts de ces conflits et éventuellement tenter de les désamorcer :
– La mise en résonance des héritages psychiques et juridiques, c’est à dire en quoi les conflits passés sont susceptibles de peser sur une situation successorale.
– L’enclenchement des phénomènes de groupe face au notaire, c’est à dire les éléments susceptibles de désorganiser ou bloquer la situation compte tenu de la personnalité de chacun et les suggestions de mise en position favorable du notaire face aux héritiers.
La prévention du conflit :
La première partie du Congrès était consacrée aux outils juridiques existants qui permettent de prévenir les conflits et ceci tant au niveau du droit international privé auxquels les travaux réservent une place importante qu’au niveau du droit Civil Français.
En effet, la complexité des règles du droit civil et du droit international privé peut être un obstacle au règlement serein et amiable des successions.
Acteurs naturels de la résolution pacifique des conflits, les notaires recherchent des solutions issues du droit civil français interne pour prévenir et résoudre les conflits.
Ces solutions proviennent principalement des outils de transmission à destination du conjoint survivant ou des héritiers (contrat de mariage, aménagement du régime matrimonial, donation entre époux, testament, assurance-vie, donation-partage, adoption) et des outils de gestion (mandats de protection future, mandats à effet posthume, conventions d’indivision et droit des sociétés).
L’un des causes majeures de conflit est l’atteinte à la réserve héréditaire. L’éternel débat sur la réserve héréditaire demeure actuel et ce malgré les atteintes qu’elle a subi par la loi, la jurisprudence ou encore par le biais de l’assurance vie. La question se pose de savoir si la réserve héréditaire est un instrument de conflit ou un instrument de protection et si elle est justifiée aujourd’hui.
Les travaux du congrès ont évoqué les sujets de tensions les plus fréquents ainsi que les solutions: clause d’attribution intégrale et enfants du premier lit, mise à disposition gratuite d’un logement, donation-partage contenant des attributions de biens indivis ou de biens de nature différentes, clauses de rapport et interdictions, rédaction des testaments et des clauses bénéficiaires, intérêt des « nouveaux » mandats et recours au droit des sociétés plutôt qu’à l’indivision.
Au-delà du droit civil interne, les travaux du congrès ont fait une large place au droit international privé Français qui doit devenir un réflexe pour les notaires.
Ont notamment été étudiés en rapport avec les conflits successoraux, la question du régime matrimonial, selon que les époux se sont mariés avant le 1er septembre 1992, après cette date et avant le 29 janvier 2019 ou à compter du 29 janvier 2019.
Il s’agit d’effectuer un « bilan DIP » pour les époux et les partenaires avant de procéder au règlement de la succession et à la loi applicable à celle-ci.
Le règlement européen UE n°650/2012 du 4 juillet 2012 a pour objet d’adapter les règles juridiques, en matière successorale, à la mobilité des personnes et de coordonner les différentes législations européennes. Ce texte s’applique depuis le 17 août 2015 à tous les aspects d’une succession, de son ouverture à sa liquidation.
Ce règlement encourage la pratique des pactes successoraux, crée le certificat successoral européen et reconnait la force probante et exécutoire des actes authentiques en Europe.
L’unité de la loi successorale relève de deux critères de rattachement : Le rattachement objectif : « dernière résidence habituelle du défunt » et subjectif: » la professio juris ».
La résolution du conflit :
Après l’étude des dispositifs permettant de prévenir les conflits, la seconde partie des travaux du congrès a porté sur la résolution des conflits.
Traditionnellement, l’issue d’un litige successoral s’envisage par la voie judiciaire et les travaux du congrès ont fait état de la dimension procédurale, parfois mal connue des notaires. Les modalités du contentieux international et la procédure judiciaire successorale en droit français ont été détaillées.
Le mouvement de déjudiciarisation conduit naturellement le notariat Français vers le développement des modes alternatifs de règlement des différends (MARD) familiaux : la conciliation, la transaction, la médiation et l’arbitrage.
La médiation connait un développement récent au sein du notariat et constitue une technique de communication et de gestion des conflits nécessitant une formation spécifique et exigeante, quand bien même les notaires y sont naturellement prédisposés par leur formation et leur expérience. Les notaires peuvent être notaires médiateurs ou prescripteurs de médiation lorsque la conciliation a échoué.
Enfin, les travaux du congrès ont également porté sur l’arbitrage, lequel n’est pas un mode amiable de règlement des litiges mais un mode contentieux reconnu licite par l’ordre étatique. Cette institution trouve sa source dans la volonté des parties exprimée dans une convention d’arbitrage dite « clause compromissoire » lorsqu’elle est insérée dans un contrat principal, et « compromis » lorsque le conflit est né. Les parties confient à un tiers le pouvoir de rendre une décision qui s’imposera à elles. Il s’agit d’un acte juridictionnel aux termes duquel l’arbitre rend une sentence qui a l’autorité de la chose jugée.
L’arbitrage n’est pas encore opérationnel en matière de droit de la famille ou l’ordre public est très présent mais offre des perspectives très intéressantes pour la résolution des conflits et le développement du service notarial. Il s’agit d’ailleurs d’une des propositions majeures du Congrès.
Lionel Fallet
Notaire
Président du congrès MJN 2018